J’ai été sollicité par les dermo-cosmétiques Biafine pour participer aux Ateliers du réconfort car je suis « psychologue de la peau » comme m’ont nommé des patients. Cette spécialisation dans ma pratique est le résultat d’un parcours personnel et professionnel : j’étais kinésithérapeute avant de devenir psychologue. J’ai donc connu Biafine bien avant l’arrivé des dermo-cosmétiques, en travaillant auprès des patients hospitalisés. J’ai ensuite tenu la consultation psychosomatique pour des patients malades de la peau. Et enfin, à l’adolescence, j’ai eu une acné particulièrement sévère dont j’ai compris le sens psychologique bien plus tard.

 

Lien peau <-> psychisme : la peau exprime des émotions, peur, honte, colère / les émotions influencent la peau. Cette influence est le mécanisme de la psychosomatique : c’est l’influence du corps par le psychisme. La logique des Ateliers du réconfort c’est de soigner le psychisme pour soigner la peau. Mais la réciproque est vraie : l’état de la peau influence le psychisme.

 

Ces idées s’appliquent pour tout type de peau, normale, fragile, sensible réactive ou malade. Des exemples dans différentes pathologies permettent d’illustrer ce qui est vrai à moindre échelle pour les peaux non pathologiques.

 

La composante très, voire totalement résolutive de l’eczéma le rapproche des peaux sensibles ou atopiques. C’est une maladie qui réagit souvent bien à une approche holistique. Prendre soin de ma peau améliore mon bien-être psychique et réciproquement. Dans certains cas plus sévères, une écoute psychologique peut être nécessaire pour permettre une évolution favorable.

 

Le contexte l’acné est différent car il faut intégrer le comportement du patient envers sa peau. La dimension psychosomatique ne résume pas l’évolution de la maladie, qui peut être aggravée par le patient lui-même. De plus, la période de survenue de ce symptôme complique parfois sa prise en charge (adolescence ou au contraire apparition tardive chez l’adulte).

 

Cette dimension psychosomatique est difficile à prendre en charge soi-même, l’aide de techniques psychocorporelles et / ou psychothérapeutiques est alors utile. L’intérêt d’une approche holistique ou globale des problèmes de peau est de proposer au patient différentes possibilités pour aller mieux. Lors des Ateliers du réconfort, des échanges avec moi étaient proposés ainsi que des massages et de la sophrologie. Cette pluralité d’approches me semble très intéressante pour permettre à chacun de trouver ce qui lui fera du bien.

 

Le massage est un auto-soin. C’est un premier temps de prise en charge de soi-même.


La sophrologie peut se pratiquer seul, c’est une approche psychocorporelle acquise avec un praticien, dans le cadre d’une relation centrée sur le corps et médiatisée par les exercices.
La psychothérapie nécessite un praticien, passe par le langage et ne s’appuie pas sur une médiation corporelle.

 

Selon le moment, le profil, le type de problème de peau, ces approches peuvent se compléter, et / ou se succéder. On peut par le corps obtenir un mieux-être qui permettra une introspection et donc de verbaliser une demande d’aide psychologique. La thérapie peut ensuite accéder aux raisons profondes et accompagner des changements nécessaires non obtenus par les techniques corporelles. Mais la thérapie peut aussi conduire à prendre soin de soi par le massage ou par l’apprentissage de techniques psychocorporelles.

 

Dans ma pratique, je prends en compte ces différentes possibilités pour accompagner le patient. Je fais le lien entre l’histoire de sa peau et son histoire. D’une part je favorise l’expression verbale des émotions, des conflits inconscients qui s’exprimaient par la peau en l’analysant grâce à la théorie du Moi-peau. D’autre part j’invite le patient à déplier son vécu corporel pour valoriser les soins et les techniques psychocorporelles.

 

Mon écoute repose donc notamment sur la théorie du Moi-peau. Cette théorie a été décrite par Didier Anzieu, professeur de psychologie, elle est le résultat de ses recherches. Il remonte à la vie intra-utérine pour expliquer les fonctions qu’il va décrire. Déjà lors du développement embryonnaire, la peau et l’appareil neurologique sont un même feuillet qui va ensuite se différencier. La peau enveloppe le corps du foetus, le sépare du liquide amniotique et dans le même temps, elle reçoit les toutes premières informations sensorielles.

 

On sait que ce qui formera la peau et ce qui formera l’appareil neurologique central sont un seul et même feuillet embryologique au départ. La construction de l’appareil psychique s’appuie sur les sensations cutanées et les ressentis corporels d’abord vécus daLesns la fusion avec la mère puis qui se différencient progressivement. La peau est ce qui enveloppe et sépare le corps de l’enfant de l’autre mais assure aussi le contact. Sans entrer dans les détails, c’est la base de la théorie du Moi-peau qui lie la peau et le développement psychologique. C’est par la peau, organe barrière de contact que la vie psychique va se constituer. C’est ce processus qui nous donnera un vécu corporel spatial.

 

La peau restera ensuite toute la vie réactive aux émotions ressenties. Elle sera la partie visible, l’interface avec les autres : notre pensée se construit comme une enveloppe et la peau est influencée par cette enveloppe. Trop rigide, elle étouffera le Moi; trop souple, le Moi manquera de consistance. La peau exprime mais aussi subit les états du Moi.

 

La réciproque est vraie : la peau influence l’état du Moi. Une peau irritée, inconfortable, rouge, qui gratte alimente le mal-être.

 

Pour comprendre la complexité de ce qui est en jeu, je cite simplement les fonctions que l’on peut décrire lorsque le Moi-peau est adapté : fonction contenante / pare-excitation / individuation du soi / intersensorialité / soutient de l’excitation sexuelle / recharge libidinale / inscription des traces.

 

Mon approche de la peau s’efforce donc d’explorer ces différentes fonctions, de les restaurer pour assurer un fonctionnement satisfaisant du Moi-peau. Parallèlement, j’accompagne le patient pour la prise en charge corporelle ou psycho-corporelle.

 

Deux histoires de cas peuvent illustrer cet exposé.

 

Une patiente, Jade a un peu moins de 30 ans et elle est dans une démarche artistique. Elle a fait une école d’art assez prestigieuse mais n’arrive pas à concrétiser sa pratique artistique. C’est une jeune femme qui a intérieurement beaucoup de désirs différents, beaucoup d’enjeux, mais qui n’arrive pas à les rassembler, à les articuler les uns avec les autres. Elle est prise dans des enjeux conflictuels internes et dans quelque chose qui ne lui permet pas d’avancer. Elle arrive avec un eczéma très important, très invalidant, qui marquait beaucoup son visage.

 

Donc elle arrive chez moi avec une enveloppe qui flambe parce que ça n’arrive pas à se rassembler à l’intérieur d’elle, ça n’arrive pas à être contenu, ça n’arrive pas à faire d’unité de soi. Et ça n’arrive pas non plus complètement à faire de frontière d’individuation avec les autres.

 

Au niveau du Moi-peau, ça ne fonctionne pas comme pare-excitation, c’est-à-dire qu’elle est très sensible à ce qu’on lui dit, à ce qui lui est éventuellement reproché ou par des conseils un peu appuyés que peuvent lui donner ses parents, des amis, son petit-ami.

 

L’intérêt du Moi-peau c’est de pouvoir évaluer ce que la peau, en tant qu’entité psychique, devrait permettre. Et donc de se dire que là, incontestablement, ce n’est pas très contenu, que le pare- excitation ne marche pas bien, que le sentiment d’individuation n’y est pas non plus, mais qu’en revanche ça inscrit beaucoup trop de traces… Pour ne citer que quatre des fonctions psychiques du Moi-peau. C’est-à-dire qu’elle souffre psychiquement et qu’elle en assez de souffrir en plus de son eczéma.

 

Ça ne résume pas le travail avec elle mais ça m’indique des zones de vulnérabilités, des endroits où si je n’étais pas accoutumé du travail avec le Moi-peau, je ne penserais pas que son enveloppe cutanée puisse souffrir des dysfonctionnements de sa vie psychique. Le Moi-peau et ses différentes fonctions me permet de penser un ensemble d’éléments qui sans ça ne serait pas forcément rassemblés en un concept opératoire, clinique quand on est avec des patients qui ont des problèmes de peau.

 

Avec cette patiente, le travail a consisté petit à petit dans la restauration des fonctions psychiques du Moi-peau, avec bien sûr d’autres connaissances de psychodynamique, de psychologie générale, même des éléments de psychologie cognitive. Mais disons que l’ensemble de ma visée clinique était de l’aider à re-fabriquer un Moi-peau qui fonctionne un petit peu mieux. Ce n’était pas que ça le travail qu’on a fait ensemble, mais c’était notamment ça. Son Moi-peau fonctionne mieux, ce qui lui permet d’être recentrée et contenue en elle-même. Sa manière à elle de le dire ça a été « J’essaye de mettre en forme ». Ça m’a paru quelque chose de l’ordre de fabriquer des enveloppes pour elle même et pour ses enjeux intérieurs. C’est un exemple de l’utilisation thérapeutique du Moi-peau.

 

Une autre patiente, Lara est arrivée avec un problème de peau très important dans une relation de couple tout à fait satisfaisante. Pour revenir aux fonctions du Moi-peau, elle se présente avec un pare-excitation qui ne fonctionne pas, trop perméable et un contenant qui fonctionne presque trop bien, trop rigide.

 

Elle a fait une grande école pour respecter des injonctions parentales assez fermes, auxquelles elle s’est tenue, donc ça l’a tenu, ça l’a contenue. Mais elle n’a pas pu se trouver en elle-même, l’individuation de soi, ça n’a pas fonctionné.

 

Elle avait un environnement familial pas simple : une maman malade sur un versant bipolaire, et un père parti. La fonction de l’individuation de soi était vraiment en grande difficulté, la peau s’est inflamée comme pour signaler ces différents dysfonctionnements du Moi-peau. Il y avait aussi quelque chose, inconsciemment évidemment, de l’ordre de continuer de fonctionner comme une peau commune. Il n’était pas possible de laisser là cette maman, avec la détresse et la violence de sa bipolarité ; pas possible de créer un espace qui permette d’être un petit peu soi-même.

 

Le travail psychologique de la peau et donc du Moi-peau, ça a notamment été de re-penser la relation à sa mère, pour lui permettre un peu d’individuation. La peau s’est beaucoup améliorée. Ça n’a pas tout résolu mais ce pour quoi elle venait, ce qui en rajoutait : le fait d’avoir une peau très vilaine et très abimée, ça induisait dans son couple une relation asymétrique. Le fait qu’elle aille mieux de ce point de vue là, elle s’est trouvée elle-même différente, son couple prend une autre tournure et les choses se sont organisées différemment.

 

Le Moi-peau permet dans cette histoire là de proposer une écoute vraiment spécifique de cette question. Ça ne veut pas dire que ce qui ne concerne pas la problématique du Moi-peau, je ne l’entends pas, évidemment. Mais c’est un angle pour soutenir à cet endroit là, le Moi-peau apporte alors un point d’articulation entre le patient et moi.