Dans ma pratique à La Roche-Posay, par les rencontres avec les enfants et les adultes porteurs de maladies dermatologiques, j’ai été amené à formuler une théorie d’écoute de l’influence du psychique sur le somatique et réciproquement. Elle nʼa aucune vocation de généralisation. Elle s’appuie sur deux concepts psychanalytiques et des observations.

 

Interprétation.

 

Qu’est ce que l’interprétation pour le Larousse ?

 

– action ou manière de jouer, de représenter une oeuvre artistique
– associer aux symboles d’une théorie mathématique des objets et des relations entre ces objets (alors interprétation = modèle)
– traduction et exécution d’un programme informatique instruction par instruction.

 

Supposer qu’une maladie est psychosomatique est une interprétation, aux sens simples du mot. C’est traduire dans un système causaliste un ensemble de signes et ou donner un sens. Dire : « La peau est le miroir de l’âme » c’est déjà sous-entendre un mécanisme biologique d’influence de l’esprit sur le corps. C’est donner à des réalités physiologiques type rougir, transpirer des traductions de manifestations psychiques dans le corps. Alors qu’on peut faire de la tachycardie sans être inquiet, par exemple.

 

Qu’est ce que l’interprétation en psychanalyse ?
Dans l’investigation analytique, c’est le dégagement du sens latent dans le dire et les conduites d’un sujet; la mise à jour des modalités du conflit défensif; elle vise en dernier ressort le désir qui se formule dans toute production de l’inconscient.
Dans la cure, c’est une communication faite au sujet visant à le faire accéder à ce sens latent selon des règles commandées par la direction et l’évolution de la cure.

 

Cette mise en évidence du sens latent d’un matériel (du rêve) fait porter tout l’accent sur l’insertion singulière du symbolisme dans la personne; sur ce qui, dans le dire et le comportement du sujet, porte la marque du conflit défensif. Sa visée dernière est le désir inconscient et le fantasme qui lui donne corps.

 

Le terme français oriente l’acception vers le subjectif, l’arbitraire, voire le forcé; en allemand « deutung » est plus proche d’explication, éclaircissement, signification.

 

Ecouter de manière « psychosomatique » des patients porteurs de maladies dermatologiques peut donc être vécu comme un acte interprétatif. Connaître les limites et les effets sauvages que peut avoir cette interprétation peut être utile à ceux qui rencontrent ces patients.

 

Inconscient.

 

La causalité psychosomatique souvent assénée au patient lui échappe. Même s’il lui arrive de trouver un bénéfice secondaire dans son symptôme,la gêne est presque toujours plus importante, au moins consciemment. L’utilisation du concept d’inconscient rend mieux compte des mécanismes – peut-être – en jeu. Le symptôme entendu comme formation de compromis, comme accès permis à la conscience pour un élément refoulé, voire comme jouissance perverse remplace la causalité biologique qui fait défaut.

 

Qu’est ce que l’inconscient en psychanalyse? (d’après « Le vocabulaire… »). C’est l’ensemble des contenus non présents dans le champ actuel de la conscience, sans connotation topique.

 

Au sens topique, ce sont les contenus refoulés qui se sont vus refuser l’accès au système préconscient-conscient. Ces contenus sont les représentants des pulsions. Ils sont régis par le processus primaire, notamment par les mécanisme de condensation et de déplacement. Ils cherchent à faire retour dans la conscience ou dans l’action. Ils accèdent par formation de compromis, après déformation par la censure. Des désirs de l’enfance connaissent plus particulièrement une fixation dans l’Ics.(Dans la deuxième topique l’Ics n’est plus une instance mais qualifie le Ca et constitue une part du Moi et du Surmoi).

 

L’Ics est une notion topique et dynamique dégagée de l’expérience de la cure. « La vie psychique est toute emplie de pensées efficientes bien qu’inconscientes et c’est de celles- ci qu’émanent les symptômes. » L’Ics est un lieu psychique, un système avec des contenus, des mécanismes et peut-être une énergie spécifique.

 

Ces contenus refoulés sont:
– des représentants de la pulsion (ou représentants-représentation) agencés en fantasmes ou scenari imaginaires auxquels la pulsion se fixe dans une mise en scène du désir
– des contenus refoulés, certains acquis phylogénétiquement, le « noyau de l’Ics », fantasmes originaires, schèmes pré-individuels
– l’infantile en nous, constitué par le refoulement, pas un vécu indifférencié « phénoménologique ».

 

Les mécanismes de l’Ics s’appellent le processus primaire qu’on retrouve dans le rêve, les actes manqués, lapsus et symptômes par leur structure de compromis et leur fonction d’accomplissement de désir. Processus sans négociation ni doute ni degré dans la certitude; indifférent à la réalité. Il est régulé par le seul principe de plaisir-déplaisir c’est à dire qu’il vise à rétablir par les voies les plus courte l’identité de perception.

 

Lorsqu’il redevient Cs, le contenu est désinvestit par l’Ics. L’Ics cherche et empêche l’émergence de ses rejetons.

 

L’Ics explique la dynamique du conflit, de la répétition et des résistances.

 

L’hypothèse d’une expression de contenus inconscients par le symptôme dermatologique permet d’expliquer ce qui échappe au patient, ce qui est parfois paradoxal, contraire à l’intérêt conscient du patient. Ce concept permet d’écouter autrement le patient, de le suivre plus loin dans ce que sa maladie peut avoir d’illogique en supposant que des contenus inconscients sont à l’origine de la partie psychosomatique de son évolution. Elle ne donne pas de clé de compréhension du symptôme tant que le patient n’est pas prêt à la trouver lui-même.

 

Observations enfants.

 

L’interprétation par les adultes des supposées émotions des enfants force leur sens. Le parent blessé projette sur l’enfant une tristesse, une angoisse non cliniquement repérable. « Il se gratte à chaque fois qu’on le contrarie. » « Elle a des poussées avant chaque contrôle à l’école. » Histoire du psoriasis aux pieds sauf quand colonie de vacances. Dans l’atopie c’est l’enfant agité, nerveux parce qu’il a des boutons: « ça doit le gratter ». Plainte narcissique d’avoir un enfant non conforme qu’on projette sur lui: »les autres enfants se moquent de lui »; enfant qui, en fait, trouve d’autres satisfactions narcissiques, même pour les filles.

 

L’attente crée parfois le sens pour l’enfant. « Il se gratte la nuit » donc il dort mal donc il est angoissé. Enfant qui dort sans problème dans un autre contexte où l’adulte « n’attend pas » qu’il se réveille.

 

Consultation d’Eve. Eve a 14 ans, vient avec sa maman pour une première cure. La peau s’améliore mais la mère reste inquiète pour sa fille et prend rendez-vous avec moi. « L’homéopathe nous a dit que les symptômes provenaient d’un syndrome d’abandon ». Je fais remarquer que ça ne fait pas beaucoup avancer le traitement de la peau. « Son père ne s’est pas occupé d’elle pendant 8 ans. Il ne la voyait plus. » Je reçois l’adolescente seule qui n’en dit pas beaucoup plus, un peu fermée. Elle n’a pas été très bien reçue chez son père autoritaire. Je la raccompagne et dit seulement qu’un suivi ne me semble pas indiqué actuellement puisqu’elle n’en fait pas la demande mais que cela sera peut-être utile plus tard.

 

Eve reprend rendez-vous. « Ma mère dit que je ne me soigne pas simplement parce que je mets moins de pommade quand je vais mieux ». Et en reprenant la chronologie de l’eczéma, on situe la reprise de la maladie juste avant le retour du père dans la vie de sa fille, vers sa puberté.

 

Si l’eczéma d’Eve est une maladie à composante psychosomatique, on voit que le sens de ce symptôme n’est pas univoque. Interprété par la mère il culpabilise le père de son absence et la fille de revoir son père sans lui en vouloir, comme elle le souhaiterai. Interprété par la fille il n’a pas ce sens d’abandon par le père. Interprété par moi il intervient d’abord dans le cours de la mésentente parentale puis à la puberté lorsque l’oedipe se réélabore psychiquement et concrètement au moment du retour du père.

 

Ces interprétations rendent compte de désirs inconscients sans doute tous impliqués dans l’expression du symptôme.

 

Observations adultes.

 

« Si vous ne guérissez pas, c’est dans vôtre tête, c’est psychosomatique. » Et quand on guérit grâce au traitement, c’est psychosomatique aussi?

 

En fait ce qu’en disent les patients, quand on leur demande leur compréhension des choses, est beaucoup plus complexe et souvent paradoxal. La maladie évolue pour son propre compte, parfois aggravée par des émotions type peur, anxiété. Parfois améliorée par une activité intense. Une poussée peut suivre au contraire le relâchement d’une très longue période difficile.

 

« J’ai tenu sur les nerfs et la poussée est arrivée quand le stress a cessé. » « Ca allait mieux quand je n’avais pas le temps de penser à moi. »

 

C’est parfois l’accumulation qui semble déclencher ou agraver la maladie mais l’arrêt des moments difficiles n’arrête pas l’évolution. Ces vécus de maladie peuvent évoquer des mécanismes inconscients. L’histoire du malade, vécu manifeste, et l’histoire de la maladie, rythmée par les désirs inconscients, ne se superposent pas.

 

Analyse de Clara. L’eczéma de Clara explose (avec hospitalisations, infections…) un an après son départ du domicile familial. En fait lorsqu’elle quitte un foyer de jeunes où elle se sentait protégée.
Son père médecin est favorable à un traitement allopathique, sa mère professeur de yoga préfère les médecines douces. Sans entrer dans les détails de l’évolution de sa maladie on peut retrouver une utilité inconsciente du symptôme dermatologique de Clara dans son enfance. Elle est l’enfant symptôme de différends non exprimés entre ses parents. Son eczéma est aussi un appel à des parents insuffisamment consistants.

 

Son symptôme exprime des conflits intérieur et interpersonnel. Son analyse détaille progressivement les dimensions psychiques inconscientes, opposées à son désir conscient d’adulte, fixées à sa position d’enfant.
Dans le cas de Clara, l’eczéma formait un compromis insatisfaisant pour elle mais satisfaisant des motions inconscientes contradictoires.

 

Sa peau reste une peau atopique. L’eczéma a profité d’une « complaisance somatique ». La signification du symptôme est construite comme un « patchwork » (Freud dans « Les études sur l’hystérie », cas Elisabeth).