Lʼimage inconsciente du corps de Françoise Dolto.
Ce livre de Dolto propose des clés pour penser ce que vivent les patients : lʼimage dynamique du corps dans son rôle dʼinterface entre le sujet et le monde extérieur. En quoi ce concept opératoire rend-il compte des perturbations psychiques observées dans les atteintes somatiques ? Je vais donc reprendre très succinctement cette théorie, uniquement dans ce quʼelle a eu dʼéclairant pour les patients que jʼai rencontrés.
Issue dʼanalyses dʼenfants, la genèse du concept plonge dʼemblée aux premiers temps de la vie. Elle lʼapplique chez lʼadulte aux cas psychologiques les plus sévères, renvoyant aux atteintes psychiques les plus archaïques. Dolto insiste longuement sur la nécessaire séparation entre lʼimage inconsciente du corps et le schéma corporel. Le second relève dʼune bonne maturation neurobiologique, et repose sur des processus décrits par lʼanatomie. Il occupe le conscient et un peu le préconscient. Lʼimage du corps relève, elle, de lʼinconscient. Elle est « la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles », « lʼincarnation symbolique inconsciente du sujet désirant ». Elle « réfère le sujet du désir à son jouir ». Lʼimage du corps est « portée par -et croisée à- notre schéma corporel ». Lʼune est sous-tendue par le désir, lʼautre par le besoin.
Chez les patients brûlés que jʼai rencontré, lʼatteinte somatique nʼaltère pas un schéma corporel déjà constitué mais perturbe le fonctionnement du corps et donc sa capacité à fournir plaisir et jouissance. Le cadre porteur de lʼimage inconsciente du corps est donc modifié. On se posera la question des conséquences psychologiques pour le sujet désirant, selon son organisation préalable.
Voyons donc à quelle construction théorique de cette image Dolto est parvenue à partir dʼanalyses dʼenfants. Elle distingue trois aspects dʼune même image du corps : image de base, fonctionnelle et érogène. Lʼensemble « constitue et assure lʼimage du corps vivant et le narcissisme du sujet à chaque stade de son évolution ». Elle est une « …métaphore subjective des pulsions de vie qui, sourcées dans lʼêtre biologique, sont continûment tendues par le désir du sujet de communiquer (…) à lʼaide dʼun objet partiel sensoriellement signifié ».
Lʼimage de base est décrite, dans le parler de Dolto, comme la « mêmeté dʼêtre, connue et reconnue, allant-devenant pour chacun ». Cette mêmeté sʼorigine dans le désir préexistant à la conception de lʼenfant. Cette image passe par trois stades : image aérienne puis orale et enfin anale. A chaque stade correspondent les sensations des régions somatiques concernées. Cette image a une dimension statique.
Dolto note que cʼest au niveau de lʼimage de base quʼon saisit le mieux le conflit opposant pulsions de vie et pulsions de mort.
Lʼimage fonctionnelle est celle « sthénique dʼun sujet qui vise lʼaccomplissement de son désir ». Elle permet lʼobjectivation du désir dans la relation à autrui par la médiation des zones érogènes, « lieu où le manque sʼéprouve ».
Lʼimage érogène est à peine décrite, elle serait « le lieu où se focalise plaisir ou déplaisir érotique dans la relation à lʼautre ». Ces sous catégories de lʼimage dynamique seront utiles pour se représenter la vie psychique dʼun patient schizophrène par exemple.
Lʼimportant est donc le fonctionnement de lʼensemble ou image dynamique. Un néologisme permet à Dolto de la caractériser : elle exprime le sujet « en désirance ». Elle se schématise par « un trait pointillé, qui, partant du sujet, par la médiation dʼune zone érogène de son corps, irait vers lʼobjet ».
Lʼévolution ultérieure des images du corps sera dirigée par les « castrations symboligènes ». Il faut entendre ici les obstacles mis à lʼaccomplissement du désir qui « permettront la symbolisation des objets de jouissance révolus ». Lʼenfant devra constituer un objet transitionnel qui rétablira lʼimage du corps dans son intégrité. Lʼenfant se sentira alors « objet élu dans ses bras retrouvés après lʼépreuve ». Dʼautres modalités relationnelles vont se mettre en place après la symbiose originelle. Elles sʼappuieront sur des perceptions (olfactives, auditives, visuelles…) qui doivent constituer un continuum entre absence et présence pour permettre une bonne élaboration de lʼimage du corps.
Le concept de Dolto rassemble, globalise, lie les éléments de la métapsychologie et y insère certaines trouvailles lacaniennes. Il met lʼaccent sur lʼimportance des vécus somatiques qui serviront dʼassise à la relation dʼobjet du sujet.
Il constitue surtout une sorte de représentation globale de la vie psychique du patient traumatisé. La régression quʼon retrouvera comme mécanisme de défense ou dʼadaptation ramène le sujet vers ses fonctionnements les moins élaborés. Un concept comme celui quʼon vient de décrire aura une utilité, techniquement opératoire, et à titre de repérage pour le clinicien.