« Quel rôle pour l’entourage pour accompagner la cicatrisation psychique après la brûlure ? Le cas Lily, une illustration de prise en charge psychologique multifactorielle.
Je remercie la filière brulure du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois qui m’a sollicité pour intervenir lors de cette journée. Je suis psychologue et j’ai aussi longtemps exercé comme kinésithérapeute auprès des patients brulés. La brulure est un événement qui laisse des cicatrices sur la peau qui nous enveloppe et dans la vie psychique.
Prendre en charge le corps et la psychologie d’une personne brulée m’a amené à essayer de comprendre ce qui pouvait intervenir dans la cicatrisation psychique. Mais qu’est ce que j’entends par là ? La cicatrisation psychique c’est la combinaison de la cicatrisation de la peau et celle de la vie psychique du patient. C’est travailler à la réparation de deux enveloppes, celle de la peau et celle du psychisme.
On connait l’influence des facteurs psychologiques sur la cicatrisation de la peau, on même mesuré dans cet hôpital le bénéfice que peut tirer un patient d’une prise n charge individuelle pour la cicatrisation de sa peau (protocole d’hypnose). Chaque personne qui a dans son entourage un patient brulé souhaite lui venir en aide. Mais comment s’y prendre ? Je vais proposer quelques pistes pour répondre à cette question.
On définit la cicatrisation cutanée comme une réparation, et non pas une véritable régénération du tissu lésé : après, ce n’est pas comme avant. Dans le cas particulier des brûlures, on connaît l’importance de l’état de l’épithélium sous-cutané, c’est à dire du « terrain » : plus une brulure est profonde moins le pronostic est bon. Et pour les brûlures greffées, des chéloïdes et des rétractions apparaissent : certaines parties de la peau deviennent plus épaisses ou rigides que d’autres. On note enfin l’influence de forces s’exerçant sur la blessure pour l’alignement des fibroblastes : c’est pourquoi la compression est importante.
Cette description de la cicatrisation cutanée peut s’appliquer à la vie psychologique après brulure. Après ce ne sera pas comme avant, plus la lésion est profonde plus les séquelles seront importantes, certains traits du caractère (moyens de défense) vont se renforcer, et la compression peut se comprendre comme contention ou enveloppe, c’est à dire ce qui entoure, l’entourage.
Mon propos est de rapprocher la cicatrisation cutanée et la cicatrisation psychologique lors de la brulure pour apporter un éclairage complémentaire à l’entourage. Le cas que je vais exposer est celui d’une petite fille; il est représentatif de ce que l’adulte et son entourage doit aussi accomplir. Cette rencontre m’a demandé de réfléchir la prise en charge psychologique globale.
Je vais donc vous parler de Lily, une petite patiente rencontrée lors de sa cure thermale à La Roche Posay. Cela me permettra d’aborder différents aspects complémentaires d’une prise en charge psychologique globale pouvant favoriser la cicatrisation psychique. Ce moment situé après la période aigue de traitement de la brûlure, précède le retour à la vie normale.
Lily a 7 ans lorsqu’elle vient en cure après une brûlure greffée siégeant autour de l’œil, de la racine des cheveux au milieu de la joue. Je la reçois en consultation psychologique, accompagnée par ses deux parents. Tout de suite à l’aise, elle profitera de la consultation pour se recoiffer avec coquetterie : elle va presque trop bien. La mère est débordée par la tristesse. Elle est très inquiète. Le père dédramatise mais exprime une blessure narcissique liée aux séquelles de la brûlure. Il dit aussi ses difficultés à investir les soins.
Lily présente une configuration habituelle de parents complémentaires mais assez opposés dans la conduite à tenir. Cette situation est culpabilisante pour l’enfant qui se sent cause de cette discorde. Pour la sortir de cette situation la consultation familiale s’emploie d’une part à interpréter le conflit dont l’enfant est l’objet ; d’autre part a lui montrer la complémentarité de la réaction des ses parents. On favorisera aussi, dans la mesure du possible, l’expression de sentiments réactionnels non dits.
Les sentiments réactionnels non dits sont ici l’équivalent, du côté psychique, des « forces s’exerçant sur la blessure » dont je parlais plus haut. Il y a chez la mère la crainte des séquelles esthétiques et chez le père la plainte qui rend sa participation aux soins difficile.
Verbaliser ces sentiments est facilité par un groupe qui réunit des parents dans la même situation. Leurs échanges sont animés par une éducatrice et un psychologue pour favoriser la dédramatisation et le partage d’expérience. Et les sort de leur isolement. Cette étape soulagera Lily de l’obligation d’aller bien pour soutenir ses parents.
Les difficultés que rencontre le père à participer aux soins sont liées à la blessure qu’il subit de l’image de sa fille et se traduit par une gêne au contact. propose L’atelier de pommadage, en insistant sur la technique, une remédiation de ce toucher. Ce groupe se déroule en binôme parent enfant ou en groupe, avec l’éducatrice spécialisée. Il s’agit de rendre à nouveau possible ce geste porteur d’affection ce qui favorise le réinvestissement de sa peau par l’enfant.
Le rôle de l’entourage sera tenter de maintenir un bon niveau d’échanges dans les registres de la parole, du toucher et du regard en s’appuyant sur les professionnels et les ressources du patient. Partie à developper selon indication filière brulure.
Enfin pour parler de « réparation » il faudra la participation de tous les soignants. Ils doivent être sensibilisés et formés tant au regard qu’au toucher. Regarder et toucher une jeune patiente traumatisée de la face suppose en effet bienveillance et congruence. Cette approche du patient nécessite une forme de tact acquis par l’analyse de la pratique. Ces attitudes professionnelles vont permettre aux parents d’être guidés, et donc moins désemparés.
C’est la cohésion de tout cet ensemble qui forme l’entourage qui constitue alors une sorte de communauté, d’enveloppe. Elle doit être protectrice mais qui pas trop isolante pour Lily. Trop protectrice elle l’empêcherait d’élaborer les difficultés qu’elle rencontre et l’isolerait dans ses propres mécanismes de défense ou ceux de ses parents. Il s’agit d’éviter de renforcer ces « chéloïdes » psychologiques que sont les mécanismes de défense. Cette approche du patient nécessite une forme de tact acquis par l’analyse de la pratique.
Participer à la cicatrisation psychique c’est organiser une prise en charge psychologique dans le sens de la cicatrisation cutanée, complémentaire de l’action de l’eau thermale. C’est à dire une action réparatrice, qui traite le terrain, tient compte des forces s’exerçant sur la blessure et lutte contre les chéloïdes.
Dans le cas d’un enfant, agir sur « les forces s’exerçant sur la blessure», c’est agir avec l’environnement parental : c’est le but de la consultation psychologique : faire un état des lieux à distance du traumatisme, lorsque l’idée de séquelles commence à se préciser. La réalité s’impose et les mécanismes de défense ne sont plus aussi opérants, il faut faire re-circuler la parole
Agir sur le terrain, en tenant compte des forces s’exerçant sur la blessure pour favoriser la réparation c’est cela qu’on peut appeler la cicatrisation psychique. Allier la réparation somatique au psychologique de manière complémentaire, dans le cadre d’une approche centrée sur le patient dans sa globalité. Et c’est en multipliant les modes d’action psychologique qu’on sera le plus cicatrisant.
J’ai bien conscience de rester généraliste lors de cet exposé, bien en dessous des conseils qu’on aimerait prodiguer, d’une méthode qui permettrai à tous d’aller bien. Chaque situation est singulière, chaque prise en charge reste donc individuelle et intersubjective. Je suis à votre disposition si je peux apporter des réponses ou des précisions.