“La honte dans les affections de la peau”
Entretien avec Auriane Yus, étudiante en Psychologie à Paris Descartes.
Auriane Yus : « Je travaille sur l’importance de la honte dans les affections de la peau. C’est une problématique qui a été très peu étudiée et que j’ai souhaité approfondir. A partir de votre expérience avec ce type de patient, retrouvez-vous souvent des éléments tels que : le sentiment d’abandon et/ou de manque affectif, une faible estime de soi ou encore la peur ou le sentiment d’être rejeté par les autres »
Joël Pacoret : Oui on retrouve tout à fait ces trois éléments chez les patients qui ressentent de la honte à cause de leur affections de peau, mais pas seulement. Chez les personnes avec une maladie de la peau, c’est ce que j’appelle « la problématique narcissique ». La plupart des personnes qui viennent consulter un psychologue ont ce type de problématique, pas seulement celles avec des dermatoses.
A.Y. : « Avez- vous observé des traits de caractères assez semblable chez les patients qui ressentent de la honte à cause de leurs affections de peau ? »
J.P. : Non je ne parlerais pas de traits de caractère commun. Chacun vient avec son propre type de construction de personnalité. Cependant votre hypothèse est juste ! Il est indéniable que la faille narcissique renforce la maladie, et que la maladie accentue la faille narcissique. Ce processus narcissique peut se rencontrer chez des personnes atteintes de dermatose. Certains patients n’ont aucune faille narcissique, vont très bien et on tout de même une dermatose qui se déclare un jour. Mais chez les patients qui ont honte de leur affection de la peau, cette problématique est centrale. Alors oui il y a un cercle vicieux qui entre en jeu. Vous savez en psychosomatique on retrouve un graphique avec le corporel en abscisse et la psyché en ordonné ; à partir de là toutes les combinaisons sont possibles. La dermatose vient révéler quelque chose, elle fait signal.
A.Y. : « Ces personnes ont-elles des relations compliquées au sein de leur famille ? Un passé difficile ? »
J.P. : Encore une fois, oui bien évidemment mais nombre de patients qui viennent me consulter ont un passé au vécu difficile.
Mais, je dois dire que votre hypothèse serait plus particulièrement vraie chez les enfants : en général les autres enfants ne sont pas tendres avec eux. Le vécu de la honte de leur affection de peau peut être douloureux. L’enfant peut se sentir à part et cela va exacerber l’existant, ça peut aggraver la dermatose.
A .Y : « Est-ce que chez ces enfants, on retrouve souvent des relations compliquées avec la figure maternelle ? »
J.P : La relation avec la mère peut être problématique dans le sens où il y a prolongation de la dépendance physique : l’enfant atteint de dermatose à besoin de soins corporel que la mère doit lui prodiguer. Ces soins peuvent être parfois prépondérant et perturber la relation avec la fratrie.
Cependant, il faut dire que l’enfant atteint de la maladie peut ne ressentir aucune honte, mais que ce sont les parents qui ont honte « pour » leur enfant. C’est souvent le cas dans des situations de brûlure bénigne, où l’enfant peut plutôt bien le vivre dans un premier temps, mais où les parents se sentent honteux. Dans le cas d’une dermatose qui atteint un seul enfant sur une fratrie, les parents peuvent s’interroger « pourquoi mon enfant est ainsi ? »
En tout cas, à cette période, l’enfant peut emmagasiner un sentiment de honte profond.
A.Y . : « Les relations sociales sont-elles affectées (difficulté à aller vers les autres? Gêne voir peur du regard des autres ?) »
J.P. Cela dépend de la localisation de la lésion. Il y plus souvent entrave dans la vie sociale lorsque la dermatose se situe sur les organes génitaux, les parties sexuelles, le visage et les mains.
Cela dépend aussi du type d’affection : il y a une grande différence entre l’eczéma et le psoriasis. L’eczéma est une maladie qui vient par poussée. Le patient peut avoir la peau nette pendant plusieurs mois avant d’avoir une poussée d’eczéma qui repartira. Lors de ces périodes de rémissions il n’y a aucune trace sur le corps. En revanche dans le psoriasis, chaque poussée laisse une petite marque, il y a donc accumulation. Le psoriasis évolue souvent par paliers. Donc oui, dans le cas d’un psoriasis ou d’un eczéma qui s’est installé de façon chronique, il peut y avoir entrave de la vie sociale.
A.Y. : « Globalement, comment est vécue la maladie ? (entrave dans la vie sociale, professionnelle, affective ? Réajustement dans la vie quotidienne ?) ».
J.P. : Il faut distinguer quelle est l’affection, l’endroit où elle est localisée et l’âge. La maladie n’induit pas un type de construction : le vécu de la honte de m’affection de peau dépend donc de la personnalité.
Certaines personnes peuvent être complètement défiguré par leur maladie et le vivre très bien, alors que d’autres peuvent avoir une petite affection qui peut engendrer ce sentiment de honte.
A.Y. : « Quelle place prend le diagnostique médical dans l’entretien ? »
J.P. : Il est fondamental ! Un tiers de mes patients ont un suivi dermatologique. La thérapie les amène à être plus exigeants avec leurs dermatologues. Cela permet de travailler sur l’enveloppe : je leur demande comment ils soignent leur peau, dans quelles situations ça les gratte, etc. Je travaille le corporel comme une entité et pas seulement comme un vécu. Pour cela le diagnostique est vraiment fondamental : il est important pour les patients de savoir ce qu’ils ont pour pouvoir travailler.
A.Y. : « Comment travaillez – vous avec ces patients ? Quel type de thérapie ? »
J.P. : Cela dépend : on peut pratiquer une thérapie classique en face en face. Pour ceux qui sont plus fragile cela peut aller presque jusqu’à de « l’Education Thérapeutique » autour des soins et de la maladie. En fonction de la demande, je propose parfois une psychanalyse, c’est au patient de décider.
Pour résumer, je dirais que ce qui est spécifique de la peau c’est la question des limites, du contenant. S’il y a quelque chose qui est plus souvent à travailler chez ces patients là, c’est la fonction de par-excitant et de protection du Moi-Peau
Je pense à un patient qui est venu me voir suite à une rupture amoureuse dont il souffre pendant laquelle son eczéma s’est exacerbé. Quelques temps après, il s’est rendu compte, et je cite ses propres mots, que pendant ce temps là il « s’effaçait ». La peau s’est réveillée contre une forme d’envahissement psychique : l’exacerbation de l’eczéma vient contrer l’effacement.
Un autre patient avait un eczéma inflammatoire, vraiment très rouge et très visible. Cet eczéma c’est déclenché, pas vraiment dans le cadre d’une rupture amoureuse, mais … Il était dans une relation néfaste où il était envahit par l’autre. Quand il s’est dit qu’il fallait arrêter cette relation, l’eczéma s’est résorbé.
Il y a cette idée que lorsqu’on est trop collé à l’autre, c’est trop envahissant. Le travail en psychothérapie permet de se recentrer. La peau exacerbée s’apaise et redevient barrière.
La honte se retrouve plutôt dans les atteintes grave qui ne s’en vont pas, où il faut faire avec.
A.Y : « D’après ces deux cas que vous venez de me raconter, j’ai l’impression que les dermatoses peuvent être liées à des séparations ».
J.P : Oui c’est souvent lié à des problématiques de séparation mais c’est souvent découvert et travaillé dans l’après coup. J’ai eu une patient qui avait une problématique de séparation avec l’image paternelle : elle ressentait beaucoup de culpabilité, beaucoup de souffrance. Cela à beaucoup compliqué ses relations avec les hommes.
A.Y : « Si j’ai bien compris, par rapport à ces cas, la dermatose à en fait un effet de barrière protectrice ? »
J.P : C’est plutôt le signal d’une protection qui ne fonctionne pas. La dermatose c’est le Moi-Peau qui est en difficulté, qui ne fonctionne pas bien.
Pour en revenir à votre hypothèse, je la trouve très intéressante. Je dirais que le point commun entre la honte et les dermatoses ce sont les limites. Pas comme dans les psychoses bien évidemment, mais dans le sens où il y a envahissement.
Résultats
La question des limites – Selon Joël Pacoret, les patients atteints de lésions cutanées ont surtout besoin de travailler sur la question des limites et du contenant. La dermatose vient signaler un Moi-Peau en difficulté, particulièrement au niveau des fonctions de pare-excitant et de protection. Celles-ci seraient défaillantes, permettant une trop grande intrusion des stimuli externes. Comme vu dans les deux cas présentés lors de l’entretien (se référer à l’annexe 4) les patients se trouvaient dans des situations importantes d’envahissement par l’autre lorsque la dermatose s’est déclenchée. Cependant, les sujets semblent avoir des difficultés à se séparer de ces objets envahissants.
Le processus narcissique – Les éléments figurants dans les hypothèses opérationnalisées, à savoir les sentiments d’abandon et de manque affectif, une faible estime de soi ainsi que la peur ou le sentiment d’être rejeté, sont regroupé par le psychologue sous le terme de processus narcissique. Celui-ci peut en effet être présent chez les patients atteint de dermatoses mais pas seulement. De façon générale, il se retrouve chez la plus part des personnes en demande d’une aide psychologique. La présence d’un processus narcissique dépend de la construction de la personnalité du patient. Cependant, lorsqu’un individu atteint de dermatose présente un tel processus, celui-ci renforce la maladie, qui, elle-même, va accentuer le processus.
La figure maternelle – Chez les enfants atteint de dermatose, on observe effectivement une problématique avec la mère mais qui n’est pas celle de l’abandon. Au contraire, il y’a une prolongation de la dépendance physique du fait des soins apportés par la mère.
La honte et ses répercussions – La problématique de la honte n’est pas forcément présente chez tous les sujets avec des dermatoses. Les répercussions possibles dépendent de plusieurs variables : comme dit précédemment, la personnalité du patient joue un rôle important dans le vécu de la maladie. Le type de dermatose a aussi son importance.