Je propose ci-dessous des extraits d’entretiens avec une patiente, menés dans deux directions :
– d’une part une supervision de pratique de thérapeute en formation,
– d’autre part une psychothérapie d’inspiration psychanalytique.
Je souhaite ainsi rendre lisible le déroulement de mon travail afin de faciliter la démarche de venir me voir.
Madame D. est arrivée à mon cabinet par mon site internet. Elle a fait des recherches, notamment sur le Moi-peau. J’ai un premier contact téléphonique quand je suis dans le train, mais je réponds, ressens une certaine urgence et donne un rendez vous par texto.
Elle est en formation pour devenir thérapeute et souhaite une supervision de sa pratique : elle se sent « débordée par ce qui s’y passe ». Elle a aussi des problèmes de peau et des manifestations psychosomatiques d’angoisse avec perte de connaissance. Enfin, elle est très insatisfaite de sa vie actuelle. Elle cite pelle mêle « sa tête qui tourne, une colère qui pourrait la rendre violente »… « Tout lui semble lourd, il lui faudrait changer de vie »…
Elle évoque des traumatismes de son enfance, nous convenons qu’ils seront traités dans notre travail.
Nous abordons son vécu corporel. Elle décrit un sentiment de risque pour son corps, de ne plus exister, de sortir d’elle même et d’être aspirée par son interlocutrice. Ses paroles me font penser aux écrits de Pankow sur les psychoses marginales.
Je rapproche ce vécu dans son histoire récente, lorsqu’elle a perdu connaissance. Perdre connaissance, c’est peut être moins angoissant que ces vécus qu’elle qualifie d’états limites. Elle acquiesce et ajoute que plus d’une fois elle a regretté de se réveiller.
Nous convenons que ces sensations coenesthesiques, psychocorporelles peuvent être considérés comme un signe, symptôme d’une fragilité dans la construction psychique.
Elle revient de formation et me raconte une séquence avec une autre participante qu’elle appréciait jusqu’alors. « Je me suis sentie complètement effondrée parce qu’elle explique qu’elle, elle se sent légitime et prête à recevoir des gens » . Pourtant lors du groupe de travail « ses productions sont nulissimes, ce dont nous convenons avec d’autres participantes ». Madame D. est prise dans des sentiments très violents qui vont de la mort de honte à un désir physique de s’en prendre à l’autre.
Je fais le lien avec d’autres situations où sa « disparition » intervient. Je lui demande si ces situations ne représentent pas chacune seulement une partie de la complexité inconsciente de ce vécu psychocorporel. Il me semble en particulier que ce qu’elle raconte aujourd’hui interroge la colère très intense qu’elle a pu éprouver sans en avoir conscience lors d’un précédent épisode.
J’émets hypothèse que dans ce cas son évanouissement est aussi une façon de ne pas se vivre dans cet état de colère. Je fais remarquer qu’à chaque fois elle a subi la situation, ce dont elle n’a pas conscience.
Nous pouvons donc faire un lien entre sa capacité d’introspection développée par l’analyse et l’intrusion des situations de pratiques professionnelle dans son espace psychique. L’introspection se retournant en quelque sorte contre elle.
J’évoque enfin la question du contenant dont elle souhaite sortir en s’évanouissant. Sa sensibilité aux situations est un atout dans l’objectif d’une pratique professionnelle de thérapeute mais elle doit encore se l’approprier.
La séance d’aujourd’hui tourne autour du film dans lequel intervient une thérapeute. Ce film lui fait ressentir beaucoup de haine dans son corps : « j’ai senti des sensations de haine envieuse pendant tout le film ». Elle dénigre le personnage, l’actrice, son jeu… Elle éprouve un profond sentiment d’injustice en regardant cette thérapeute qui a de la notoriété. Elle la trouve « nulle, mais nullissime » dans l’animation de l’atelier.
Je lui dis qu’il me semble que ces sensations corporelles sont un pas en avant par rapport à un évanouissement.
Elle se dit « incapable de mener une conversation ». « Ma conversation est soit ennuyeuse pour les autres soit je trouve que je n’ai rien à dire. Elle ne sait pas participer à une conversation qui a juste pour vocation de faire du réseau. Elle associe aussi sur une connaissance « pour qui tout semble donner : elle est dans l’évidence de recevoir, sans jamais se remettre en question sans jamais donner elle-même ».
Je fais remarquer que ces personnes semblent dépourvues de capacité d’introspection. Que dans le cas de sa pratique ce serait un inconvénient majeur et un mode d’être qu’elle ne souhaite pas.
Elle évoque incidemment son nouveau stage qui se passe bien. J’en demande un peu plus. Elle raconte une interaction avec une patiente mélancolique qui fait du modelage et qui lui dit : « Je me sens vide » et à qui elle répond : « Alors vous avez bien choisi votre activité » car elle est en train de remplir une forme.
Je fais remarquer la pertinence clinique de cet échange qu’elle n’avait pas trouvé particulièrement « profond ».
Nous terminons la séance sur de la question des limites : limites de son corps qui peut accueillir la haine qu’elle ressent / limite psychique qu’elle utilise sans le savoir dans ce nouveau stage.
Madame D. se pose la question du normal et du pathologique dans les propos d’une patiente. Elle s’interroge sur son positionnement clinique. Jusqu’à quel point peut-elle accompagner la patiente dans ses idées ? Nous discutons cette séquence. Nous distinguons ce qui relève de sa subjectivité, de ses propres réactions émotionnelles, de son histoire et ce qui relève de ses connaissances, expériences.
Nous travaillons l’intensité de ses ressentis internes et sa perméabilité aux autres dans cette situation d’apprentissage qui la met en difficulté tant professionnelle que subjective.
En conclusion j’évoque la question des limites et du Moi-peau dans la perspective du travail de supervision et de psychothérapie que nous avons posé. Elle a connu précédemment une situation de stage sans supervision et était dans un moment de plus grande fragilité subjective. Le travail que nous menons vise à consolider ses deux aspects professionnel et subjectif.
« Aujourd’hui je me sens creuse. J’ai été seule ces quelques jours, sans ma famille qui d’habitude m’occupe beaucoup. Du coup je n’ai pas l’effervescence habituelle de mes pensées au contact des autres. Dans ces cas là, la conclusion que j’en tire est que je suis dans l’imposture. C’est un peu toujours comme ça quand je me retrouve sans l’épaisseur de ma névrose, seule sans l’effervescence de mes complexes au contact des autres ».
Je lui demande d’essayer de dater le début de ce processus dans lequel elle ne peut exister qu’au prix de sa souffrance névrotique. Seul son mal-être la rend consistante. Elle évoque alors des situations avec des patients. Des vécus, des ressentis corporels parfois angoissant, des sensations, des émotions non verbalisées forment le matériel psycho corporel qui résulte de ces rencontre. Le mouvement intellectuel qu’elle fait ensuite, qui s’appuye sur son savoir et ses apprentissages théoriques, cela lui semble une imposture.
Je reformule ce qu’elle vient de dire : les ressentis corporels sont les signes avant-coureurs de l’intuition qui rencontre le savoir théorique pour former une expérience clinique. Elle est un peu déstabilisé par la valorisation de ce qu’elle décrit. « Vous êtes dupe de mon imposture » dit-elle.
Je maintiens ma lecture des choses et interroge cette critique, ce jugement qu’elle a sur elle-même et lui demande d’essayer de comprendre d’où il peut venir. Sa réponse utilise le concept freudien de l’Idéal du Moi. J’argumente que dans ma compréhension de la théorie de Freud, l’idéal du moi est dialectisé avec le Moi Idéal; que l’un relève d’une instance critique du registre paternel et l’autre plutôt d’une assise narcissique du registre maternel.
Je l’invite à essayer d’illustrer ces explications très théoriques.
Il lui revient à l’esprit une scène dans laquelle son père essayé de reboucher un flacon. «Je donne à mon père l’idée d’entailler le liège du bouchon pour réussir à le faire entrer dans le goulot. Il met en pratique mon conseil et me dit que c’est vraiment une idée très intelligente ».
Je fais le parallèle avec la question de la réflexion sur une situation et de la manière dont elle donne les bons conseils. Elle fait ici preuve de bienveillance envers elle-même. Je lui fais remarquer comment le jugement d’imposture tranche avec cette bienveillance. Elle ne sera pas là lors de situations dans lesquelles sa mère lui a fait remarquer combien ce qu’elle disait ne valait rien. Elle ajoute « Et c’était donc une bonne raison pour ne pas m’aimer ».
Elle amène une séquence avec une patiente sur son lieu de stage. Elle se pose la question de ce qui fait écho chez elle dans ce que la patiente lui raconte, dit qu’elle n’arrive pas à faire la part entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle devrait penser de la patiente.
Nous déplions ce regard, ce jugement qu’elle porte sur elle-même en temps que thérapeute en formation. Je mets en perspective la séquence de ce jour avec les autres éléments qu’elle a apportés lors des séances précédentes. Je fais le lien avec ce que nous disions lors de la séance précédente sur le jugement que sa mère portait sur elle.
Elle raconte alors une conversation téléphonique avec sa mère, il y a quelques jours. Elle lui parle de sa sœur, « idéale » de ses « échecs répétés » et de son espoir qu’elle « trouve enfin un travail ». Elle fait un mouvement comme une main qui s’abat sur sa tête pour décrire ce qu’elle ressent lorsqu’elle écoute sa mère. Elle qualifie ses propos de « sorte d’injonction ».
« Et bien voila comme c’est souvent le cas après une période qui a fait étayage je reprends mes mauvaises d’habitude d’addiction à des séries, de procrastination… Je retrouve un état végétatif, presque placentaire d’attente… Je me rends compte que c’est le désir de l’autre dont j’ai besoin, cela m’a conduite à des relations toxiques ».
J’émets l’hypothèse que le désir de l’autre n’est pas seulement étayant, qu’il peut aussi être destructeur. Dans ce cas, l’état végétatif est protecteur d’une destruction ou d’une déception après retrait de l’étayage.
Elle dit faire corps avec les fantasmes de ses parents autour de sa naissance. Père qui aurait aimé un bébé cadum et dit « Tout ça pour ça… » en la voyant brune à la peau mate. Quand à sa mère, elle a un souvenir « horrible » d’une naissance difficile après une grossesse pénible. Elle fait aussi état du discours de sa mère : « avoir été vécue comme un alien » et précise « alien comme l’extraterrestre et aliène comme aliéné ».
Je propose l’idée que ce n’est peut être pas pour rien qu’elle est dans cette incarnation, que cela pourrait être pire, en particulier rien ou vide. Il ne faut peut-être pas couper complètement ce que pourrait produire l es études de psychologie qu’elle envisage.
Elle conclut « En effet dans toute mon enfance c’est ce qui m’a permis de ne pas tomber de l’autre côté de la limite ».
Je l’invite à développer sa situation familiale qu’elle a jusqu’à présent à peine évoquée. « Ça se passe plutôt bien ». Je lui fais préciser, illustrer la manière dont elle joue son rôle de mère. Elle est plutôt contente d’elle-même en en parlant.
Je fais remarquer qu’elle a su ne pas répéter la relation fusionnelle qu’elle avait eu avec sa mère. Elle argumente que cette relation fusionnelle n’était que de son côté. Pour sa mère il s’agissait d’une relation de rejet, la fille idéale était et étant actuellement encore sa sœur.
« Aujourd’hui je vous préviens ça ne va pas très bien ». « Je me gave de séries, je me couche tard, je n’arrive pas à me lever le matin, je vis complètement décalée. Je ne croise que des personnes âgées et des handicapés. Je me dis que je ne vaux pas mieux que ça que je suis en échec ». « Je retombe dans mon complexe abandonnique : rejetée, paria, à la marge, sans place dans la société. Pourtant j’ai validé ma formation, mais cela ne me donne pas de place seulement un strapontin ». « C’est humiliant ».
« Il faut bien admettre que moi je n’arrive pas à valoriser mon travail. Ça ne me gênerait pas de travailler bénévolement s’il il y avait le salaire universel… Mais pour le moment je n’arrive pas à construire ou en tous cas à projeter dans le monde réel ma valeur professionnelle. C’est comme si les choses m’échappaient, comme du sable sec entre les doigts : ça ne construit rien ». « Rien ne se passe dans le réel, dans la société; je suis dans une néo-réalité ce qui me renvoie un fonctionnement psychotique. J’ai bien le savoir théorique de ce que je vis mais cela ne déclenche pas de changement dans la réalité. Il y a quelque chose à quoi je n’accède pas, quelque chose de symbolique… »
Je fais le lien avec nos précédents entretiens. Je lui rappelle les satisfactions que nous avons mises au jour, les mécanismes régressifs qui étaient à l’œuvre. J’interroge la fonction de cette « néo-réalité » qui intervient presque comme un délire, qui l’empêche d’accéder à la réalité mais peut être aussi pour la protéger ?
Je la prie donc d’accepter l’idée que la séance d’aujourd’hui intervient au décours d’un épisode qui ne doit pas empêcher de se rappeler qu’elle peut aller mieux. Elle semble entendre ce que je dis.
Elle parle de ses relations aux autres et se demande s’il s’agit d’un problème existentiel ou traumatique. Je lui demande de préciser. Par existentiel elle entend quelque chose qui pourrait relever du destin par exemple mystique, ou pour certains mélancoliques. Par traumatique, j’entends suite aux situations dont nous avons parlé.
Elle précise en différentiant pathologique et objectif. Je fais remarquer que ces registres ne s’appliquent pas ici : son vécu peut être existentiel, c’est-à-dire lui permettre d’exister, tout en étant pathologique et la faire souffrir.
Cette articulation entre différents aspects de son vécu me permet d’introduire la question du regard sur soi. Ce regard est peut-être pathologiquement sévère, rien ne saurait trouver grâce pour lui.
Je parle de la question des limites, au sens des limites entre elle et les autres. Je pose aussi des mots sur ses vécus de porosité avec les autres. Il y aurait avec certains une sorte d’imbibition, dans d’autres cas une projection. Le travail que nous effectuerons a vocation à permettre la différenciation.
« Je suis à nouveau dans le même état que la dernière fois, je n’arrive pas à me lever, à faire ce qu’il faut pour trouver un travail. Comme je n’y crois pas, prise dans mon échec, je me dis que ça ne vaut pas la peine. Je ne fais pas l’effort de préparer des ateliers qui pourraient intéresser des institutions ».
« Je sais pourtant que j’ai des ressources, qu’il ne faudrait pas grand chose pour que ça marche ».
Je mets en doute sa croyance d’échec comme seule cause de sa non recherche. J’évoque le contexte dans cette profession, j’oppose son expérience lors du stage.
Elle répond que c’est toujours comme ça, qu’elle passe par des phases régulièrement d’excitation et de déprime. « Le problème c’est que je ne crois pas en moi ». Je réfute la conviction : si vous croyiez en vous, vous vous trouveriez ? Elle entend que son assertion est excessive.
Nous pouvons alors discuter ce qui alimente ce point de vue en elle, le rend si envahissant. Je parle de frayage neurologique et d’une démarche pas à pas pour se sortir de cette ornière.
« Je cherche toujours un groupe dans lequel je puisse être pleinement moi-même et pas une sorte d’imposture ».
Je questionne le genre de groupe auquel elle pense : groupe de travail, d’appartenance, identitaire ? Ce n’est pas clair pour elle. Je comprends qu’elle décrit un groupe qui lui ferait du bien, sur un mode idéalisé. Je lui fais remarquer que les différents pôles qui la composent ne permettent peut-être pas l’appartenance à un seul groupe homogène.
Je questionne aussi la fonction qu’elle semble attendre de ce groupe, en lui rappelant la manière dont elle avait projeté sur moi des doutes quant à ses capacités professionnelles.
Elle entend et ajoute que ce mécanisme est d’abord présent dans son propre fonctionnement, lorsqu’elle se juge elle-même incompétente, pas à sa place…
Je reformule ce qu’elle vient de dire et propose différents espaces contenants : sa pensée, elle avec l’autre, le groupe pour elle. Je rappelle ce que nous avons travaillé de son vécu. J’émets l’hypothèse que le passage actuel relève de l’individuation : le groupe intervenant à la fois comme une surface de projection de sa pensée, et comme nouveau contenant duquel s’autonomiser.
Elle convient de cette interprétation. Elle évoque alors des travaux qui ont été appréciés par plusieurs professionnels reconnus.
Elle parle avec une certaine résignation de l’idée que sa vie est une succession d’épreuves qu’elle doit surmonter, qu’il n’y a pas de cadeau qui lui est fait.
Elle évoque une relation professionnelle : « Elle me fait ressentir de la colère et même de la haine. ». Je lui demande de préciser la différence qu’elle fait entre la colère et la haine. « La colère est liée à un acte ou une intention de l’autre, la haine n’a même pas besoin de ce prétexte. Je la ressens très fortement et je ne suis pas sûre d’arriver à la contenir avec cette personne ».
« Ce sont des personnes sûres d’elles en raison de leur beauté. Je trouve cela insupportable qu’une personne soit fière d’une beauté dont elle n’est pas responsable, qui lui a été donnée par la nature ».
Je fais le lien entre « l’épreuve » et « les preuves » pour proposer la construction suivante : Tout se passe comme s’il y avait des preuves des jugements qu’on porte sur vous. Cette « loi » s’impose à vous comme une évidence. Dans cette situation la colère est fondée et la haine peut être salvatrice. Il est justifié d’être en colère quand on est injustement dévalorisé et de souhaiter la disparition de la source de ce jugement.
« Ça va globalement bien ». « Je me sent juste, comme droite, avec un fil à plomb, bien à ma place ». Elle revient ensuite sur son inquiétude de « péter les plombs ». Il s’en suit une discussion sur sa porosité au discours de l’autre. Elle associe sur sa colère dont elle ne sait que faire à présent. Je suggère que cette colère nous savons à quoi elle correspond dans son histoire… J’émets l’hypothèse que cette colère était parfois si forte qu’elle préfèrait disparaître.
« J’ai arrêté l’activité avec la personne qui me mettait tant en colère. J’étais dans hors cadre. Je dois arriver à prendre de la distance avec ce ressenti ».
Nous travaillons alors à séparer ce qui relève d’une forme d’écoute de l’autre et ce qui relève de sa propre histoire. Sa capacité d’écoute étant d’une certaine manière le symptôme de son histoire, je propose de réintroduire la question du Moi-peau comme interface avec l’autre, interface constituée au cours du développement mais qui peut aujourd’hui continuer à évoluer.
Nous convenons que celle-ci peut être plus distancée qu’actuellement. Je propose de considérer comme normal de préférer ne pas travailler avec certaines personnes. Elle comprend mais ajoute : « Il me semble que je rencontre toujours dans le réel ce type de personne ». La suite de notre travail lui permettra de se défaire de ce type de répétition.
Séance d’élaboration autour de ses difficultés à trouver sa place.
« Lorsque je me mets à une activité comme un collage ou l’écriture je suis comme médusée, je n’y arrive pas. Je suis dans une sorte de loyauté à ma névrose ».
Je lui demande d’en dire un peu plus.
« Je n’arrive pas à dépasser les injonctions qu’on m’a faites. Je ne suis pas assez résiliante ? » J’interroge ce qu’elle entend par résiliance, demande s’il ne s’agit pas plutôt ici d’une répétition qui la ramène toujours au même point de départ. J’émets l’hypothèse qu’il serait aujourd’hui plus utile de se réparer pour pouvoir créer un nouveau point de départ.
Elle s’étire, se masse le cou, se plaint d’avoir mal à la tête et des contractures aux épaules. « Je me demande si les moments où je n’arrive rien à faire ne sont pas des moments où il se passe quelque chose en arrière-plan ». « Parfois je me dis aussi qu’il faut que j’arrête de tout analyser et qu’il s’agit tout simplement de paresse ».
J’entends « paraisse » mais je n’en dis rien, je pense cependant à la question de ses évanouissement et de ses difficultés pour qu’elle paraisse là. Je pense aussi qu’être médusée c’est être absorbée par la méduse.
« En m’écoutant vous parler je me sens presque dissociée : comme si je n’avais pas le droit, comme si ce moi ne valait pas la peine d’être entendu. Je devrais même en avoir honte ». « Ce que je vous raconte doit vous sembler un délire ». C’est aussi ce qu’elle appelle « l’arrière monde » constitué d’un ensemble d’éléments de son passé dans lequel elle va piocher ce qui lui permettra d’être créative.
Je fais plusieurs commentaires et liens autour de la question de sa place. Je propose de considérer l’arrière monde comme un espace temps hors-sol et hors chronologie dans lequel elle a grandi et s’est construite. Cet endroit et le lieu source de sa créativité.
Elle déclare à-propos d’un voyage qu’elle a prévu là où elle est née : « Cela m’angoisse, ça m’ébranle, ça effrite toute ma confiance en moi d’y penser ».
J’émets hypothèse que cet ancrage identifcatoire est mythologique, qu’il est situé dans l’arrière monde et empêche un ancrage narcissique dans sa vie d’aujourd’hui.
Je propose que ce voyage lui permettre de ne pas subir « l’épaisseur de sa névrose » ni ses troubles identificatoires mais lui permette, peut-être, de s’exprimer un peu plus subjectivement avec ceux qu’elle rencontre.
Je demande comment s’est passé le voyage. « C’était très bien, je me suis sentie à ma place, attendue, accueillie… ». Je lui rappelle comment elle était inquiète, angoissée, se demandait même si elle allait faire ce voyage, lors de notre précédente séance. J’émets l’hypothèse qu’il y a quelque chose à comprendre dans ce qui entrave, ce qui empêche habituellement d’envisager des projets de manière positive. Cela s’applique aussi à ses projets professionnels. J’ajoute en reprenant ces mots du début de la séance qu’elle est comme « engoncée, limitée dans ses mouvements » (physiques et psychiques) quand elle est à Paris. Nous convenons que le travail que nous avons fait lui permet de se mieux se situer et de se sentir bien dans une réalité, quel qu’en soit le lieu géographique.
Je fais aussi des liens avec tout le travail fourni ces dernières semaines : je propose comme hypothèse que l’épaisseur de sa névrose diminuant, elle se sent vide. Je prend appui sur les troubles qui se sont manifestés puis ont disparu, et sur la manière dont son voyage s’est déroulé par rapport aux craintes qu’elle en avait. Nous détaillons ce qui s’est passé à ce moment-là : ce qu’elle a subi, ce qu’elle a choisi. Je critique aussi l’idéalisation d’un statut professionnel qui lui apporterait un épanouissement, une satisfaction complète. Une prise de conscience s’ensuit.
« Aujourd’hui je vais bien. J’ai envie de comprendre ce qui va bien ».
Elle associe autour de la question de réalités parallèles, de la manière dont c’est notre mental qui fabrique notre réalité. Évoque aussi « l’archaïque mais pas le psychotique ». Je lui fais préciser, il s’agit de ce qui relève de « l’intelligence perceptuelle ».
Elle dit presque regretter que les connaissances psychologiques ou psychiatriques réfèrent notre perception du monde au normal et au pathologique. Je lui dis que pour ma part j’ai une écoute qui relève d’une théorie psychanalytique que je me suis appropriée de manière ouverte et dans une cosmogonie qui n’exclut pas des explications irrationnelles. Je lui dis que pour moi, la psychanalyse est une théorie qui articule le corps et le langage et que l’un des enjeux de notre travail a été de lui permettre d’être au mieux avec ces différentes parties d’elle-même.
Je lui fais part de la manière topologique dont semble s’organiser le matériel qu’elle apporte aujourd’hui. Elle ne fait en effet pas le même geste pour désigner l’archaïque que lorsqu’elle désignait derrière elle « l’arrière monde ». Entre ces deux mouvements elle est au milieu, je lui demande comment elle différencie ces deux registres et je fais remarquer qu’ils ont des points de connexion.
« Ça va toujours bien ». Madame D. me raconte une séquence intervenue il y a déjà plusieurs semaines mais qu’elle avait oublié de mentionner dans laquelle elle est contente de sa pratique de thérapeute… Je prends l’initiative de la parole et énonce les progrès réalisés ces dernières semaines.
Ces événements mettent en acte un autre quotidien que celui qu’elle avait il y a encore quelques mois et rompt avec les identifications et injonctions paradoxales dans lesquels elle était prise. Je constate qu’un point subjectif est en train de se constituer. Elle admet qu’il s’agit d’un point de vue et que peut-être il y en avait un autre pour la même réalité vécue précédemment.
Enfin je propose que la névrose peut qualifier un vécu de souffrance, mais que les mécanismes qui la composent, s’ils sont d’intensité moindre et s’ils permettent un fonctionnement satisfaisant, la névrose n’est alors pas une pathologie.
Elle acquiesce et la séance se termine sur ce projet.