Les patients reçus pour rééducation respiratoire sont fragilisés par une maladie qui touche une de leurs fonctions vitales. Leur vécu psychologique est teinté d’angoisse et de dépression. Les soins que leur prodigue le kinésithérapeute produiront le plus souvent une nette amélioration, objectivable ou subjective. La relation qui s’installe lors de ces séances est très intense car elle :
Naît dans un contexte somatique et psychologique de détresse ;
Se tisse dans le temps ;
Imbrique amélioration somatique et amélioration psychologique.
Le kinésithérapeute se trouve ainsi placé dans une position très particulière de pouvoir et de savoir sur un corps à l’origine d’émotions négatives. Ces malades ont plus ou moins brutalement perdu le souffle, et le rééducateur va leur apprendre à le retrouver. Leur participation est activement guidée, en synergie avec les techniques manuelles.
Un binôme patient-kiné va se former et, parfois, un certain sentiment de « dépendance » accompagnera transitoirement ce processus. La relation va ainsi évoluer au cours des séances. Elle offre au kinésithérapeute la possibilité d’accompagner ses patients sans sortir des limites de son domaine de compétences, car il s’agit avant tout d’écouter. En effet, l’écoute manuelle – qui permet d’ajuster à chaque séance la technique kinésithérapique – peut se doubler d’une écoute attentive de ce que le patient traverse.
La réélaboration de l’image inconsciente du corps est permise par la relation patient-kinésithérapeute.
Comment délimiter "la relation patient-kinésithérapeute" ?
La relation qui s’établit dans une situation de soins est souvent appelée “soignant-soigné”. “C’est avec son corps, sa parole et son affectivité qu’on entre en relation”. Cet échange est cependant “cadré” par la situation, il ne s’agit pas d’amitié mais de communication personnalisée. On peut aussi rapprocher cette relation d’une négociation devant aboutir à un terrain d’entente entre le soignant et le soigné.
Dans le cas de séances de kinésithépraie, elle représente la partie intersubjective du traitement, tout ce qui ne concerne pas purement la technique kinésithérapique. Ce qui ne serait pas identique entre deux autres personnes dans la même pathologie : les adaptations individuelles, les encouragments ou conseils personnalisés, la tonalité des échanges, l’implication du thérapeute et du patient. La relation s’établit à chaque fois singulièrement, patient et kinésithérapeute forment un binôme qui évolue au cours des séances. La relation peut permettre de dire ou entendre des éléments difficiles, intimes ou frustrants. Selon qu’elle est empathique ou strictement professionnelle, elle supportera l’évolution de l’image inconsciente du corps ou pas. En effet, pour que cet accompagnement fonctionne, l’écoute du kinésithérapeute est nécessaire mais pas suffisante. Seul le patient peut s’engager dans une évocation subjective de sa pathologie. C’est cette partie subjective qui permettra de repenser l’image inconsciente du corps.
L’interaction psychologique patient-kinésithérapeute ne peut donc pas être imposée car elle repose sur des facteurs subjectifs et non purement objectifs. Dans certains cas, la travail relationnel ne sera pas possible, ou pas souhaitable. Certains patients psychologiquement fragiles peuvent trouver dans une pathologie somatique un équilibre qui pourrait se décompenser.
Le plus souvent, l’amélioration de la fonction respiratoire produit des effets psychologiques positifs sur le patient. Ce résultat favorise une relation de confiance du patient pour son thérapeute. S’il l’accepte, le kinésithérapeute sera investi comme agent de l’évolution psychosomatique. Il pourra écouter ce que le patient dit de son vécu corporel en rapport avec ce qui se passe au niveau somatique, permettant au patient de s’approprier ce changement de l’image inconsciente de son corps.
Comment définir "l'image inconsciente du corps" ?
Le concept d’image inconsciente du corps a été développé par Françoise Dolto. On peut retenir que l’image inconsciente du corps est la « synthèse vivante de nos expériences émotionnelles », « portée par » le schéma corporel. Dans les cas présentés ici, il s’agit donc des émotions ressenties par le patient qu’il a enregistrées de manière inconsciente dans son schéma corporel. Dolto explique la façon dont se construit ensuite le rapport d’un sujet au monde à partir de ses vécus somatiques : cette image inconsciente que le patient a de son corps conditionne la façon dont il va habiter son corps et le faire fonctionner en relation avec son environnement.
Sans nécessairement approfondir la théorie, le kinésithérapeute peut utiliser ce concept pour penser ce que traverse le patient et l’accompagner. Il écoute ce qui lui est dit verbalement en rapport avec ce qu’il “entend” dans l’évolution du traitement. Le concept d’image inconsciente du corps permet au kinésithérapeute de réunir ses impressions psychologiques et somatiques concernant le patient, de se les représenter. Il peut alors devenir le suport du travail psychosomatique qu’effectue le patient. Cet étayage ne peut être décidé unilatéralement par le kinésithérpeute : c’est subjectivment que le patient développera, ou pas, une relation permettant au kinésithérapeute cet accompagnement. Faute de quoi, l’action du kinésithérapeute sera vécue comme interprétative et intrusive.
En retraçant des traitements, nous illustrerons cette évolution psychologique. On verra que chaque patient invente un cadre psychosomatique singulier dans lequel le soignant du corps est aussi, et parfois plus, investi imaginairement. Être sensible à cette dimension ne fait pas du kinésithérapeute un psychothérapeute mais peut compléter utilement le traitement du patient dans sa globalité. Cet aspect psychologique, exacerbé par la nature vitale de la respiration, est partiellement généralisable aux situations rencontrées dans d’autres pathologies.
Les trois premiers cas présentés illustrent la notion de relation patient-kinésithérapeute; les deux derniers approfondissent le concept d’image inconsciente du corps développé par Françoise Dolto.
Monsieur N.
Éléments de diagnostic pneumologique : cancer du thymus traité par chirurgie puis radiothérapie. Spirométrie montrant une restriction post-chirurgicale et une obstruction liée au tabagisme. Dyspnéique à la marche lente.
Anamnèse : il consulte son généraliste pour une « légère fatigue » et l’examen radiologique montrera une « tache » pulmonaire. L’ablation d’un lobe pulmonaire, du péricarde et d’une partie du nerf phrénique est pratiquée très rapidement, suivie d’une radiothérapie quand un carcinome est mis en évidence. Il effectue une première rééducation fonctionnelle respiratoire en centre spécialisé. Durant toutes ces semaines, il « cogite dur » et ressent une « forte pression ». Il s’apercevra plus tard qu’il est « un peu hermétique » aux explications fournies par les soignants sur les conséquences de son traitement.
Kinésithérapie respiratoire : elle est mise en place pour traiter une dyspnée apparaissant dès l’effort léger.
Lors de la première séance, il prend conscience de la mobilité partielle de son diaphragme qu’il croyait totalement paralysé. Il n’est pas très convaincu de l’utilité de ces séances mais il les poursuit, car il a une bonne relation avec le kinésithérapeute. Objectivement, ses amplitudes respiratoires s’améliorent, ce qui justifie les séances.
Il traverse plus tard un épisode de bronchite qui nécessite des séances de drainage bronchique. Il prend alors conscience de l’utilité de la kinésithérapie grâce à l’amélioration de son état.
Aspects psychologiques : pour la première fois depuis le début de sa maladie, il a « le sentiment d’avoir une réponse » à son inquiétude et interroge beaucoup le kinésithérapeute. Avec cet épisode de bronchite, les angoisses liées à son cancer se répètent mais avec une intensité bien moindre. Il dira après coup avoir alors considéré le kinésithérapeute comme « le seul représentant du monde médical », car il était celui qui apportait une technique dont il éprouvait l’efficacité. Il « oublie » donc inconsciemment le traitement médicochirurgical et son bénéfice vital car ils sont associés au traumatisme de sa maladie. La confiance ainsi établie renforce la relation soignant-soigné, tant du point de vue psychologique que somatique.
La relation patient-kinésithérapeute: au cours de la maladie, le kinésithérapeute est investi de manière très différente selon les étapes et selon le contexte, ce qui lui permet d’aborder avec le patient un travail relationnel différent.
– Lors de la phase de convalescence, il est perçu comme un « technicien », ce qui indique une mise à distance du soignant. Il s’agit d’un mécanisme de défense contre l’anxiété expliquant pourquoi monsieur N. a du mal à comprendre ce que lui dit le kinésithérapeute.
– Plus tard, lors de la rééducation en ville, il devient « seul représentant du corps médical » car, au fil du temps, l’angoisse diminuant, le patient comprend sa maladie. La relation peut se développer au profit d’un accompagnement psychologique.
L’épisode de bronchite, moins anxiogène et objectivement moins dangereux pour lui, permet au patient de repenser ce qu’il a traversé. Ainsi, lorsqu’il interroge le kinésithérapeute sur son encombrement pulmonaire, cela fait écho à une angoisse plus ancienne et plus traumatisante pour lui. Le kinésithérapeute doit répondre patiemment car l’enjeu de cette écoute ne concerne pas simplement un bilan actuel ; il s’agit aujourd’hui de rassurer le patient sur une inquiétude qu’il a emmagasinée dans l’image inconsciente de son corps au cours des mois précédents.
Le vécu corporel traumatique peut alors se réélaborer dans le cadre de la relation intersubjective : il est « réparé » tant par les techniques de soin que par le dialogue instauré avec le kinésithérapeute.
Bilan pneumologique : eupnéique à la marche soutenue. Données spirométriques normales compte tenu des antécédents.
Madame R.
Éléments de diagnostic pneumologique : emphysème avec bronchite chronique et exacerbations fréquentes. Spirométrie montrant un déficit ventilatoire obstructif. Dyspnéique et désaturante à la marche lente.
Anamnèse : a « pratiquement toujours eu la notion d’une gêne respiratoire ». Elle fume très jeune et jusqu’à trois paquets par jour. Elle a pris conscience que son tabagisme recouvrait une problématique psychologique importante, teintée d’angoisse, de tristesse et de révolte.
Kinésithérapie respiratoire : elle présente une respiration cervico-scapulaire avec tirage quasi permanent et des amplitudes respiratoires très limitées.
Compte tenu des éléments de l’anamnèse, ces deux critères peuvent indiquer :
– une angoisse (sentiment d’oppression respiratoire et tension cervico-scapulaire permanente) ;
– une tristesse (diminution des amplitudes respiratoires, perte de l’élan vital).
Les techniques proposées consistent en :
– des massages décontracturants visant le relâchement des muscles inspirateurs accessoires, accompagnés d’une écoute manuelle (avec feed-back verbal) ;
– un réveil puis un renforcement de la respiration diaphragmatique.
Ces techniques sont expliquées et justifiées. Les exercices indiqués sont rapidement acquis, réalisés régulièrement et bientôt automatisés.
Aspects psychologiques : il n’est pas nécessaire d’associer les émotions du patient à l’écoute manuelle lors des premières séances car cette interprétation pourrait être vécue comme intrusive : la patiente vient pour une plainte somatique et non psychologique. La pensée du kinésithérapeute doit rester néanmoins vigilante. Ses conseils et ses indications peuvent transmettre une réponse aux émotions que le corps semble exprimer : encouragements, prise de conscience, mesures objectives favorisent l’évolution pneumologique d’une part et le désinvestissement psychologique de la maladie pulmonaire d’autre part. Une spirométrie qui s’améliore est en effet moins triste et angoissante pour le patient.
La relation patient-kinésithérapeute : l’évolution du rapport de la patiente avec sa pathologie respiratoire est soutenue par la relation au kinésithérapeute : elle lui permet de reprendre confiance dans sa fonction respiratoire. L’anxiété peut ainsi se « détacher » du poumon et se travailler psychiquement. L’inquiétude qu’elle avait pour sa respiration était la représentation somatique d’une problématique anxieuse. La patiente retrouve à son rythme les émotions qui s’étaient traduites en automatismes corporels. L’image inconsciente du corps se modifie, les émotions liées au vécu passé peuvent se réélaborer, voire se dire. Elle se rendra ainsi compte que son emphysème « lui a permis de prendre enfin soin d’elle ». Ces techniques peuvent s’intégrer dans une pratique de type yoga ou sophrologie sans kinésithérapeute. Le rééducateur doit « prévoir » la fin de cette relation pour ne pas créer de dépendance. L’autonomisation psychologique est ainsi recherchée dès le début du traitement, quand elle est somatiquement possible. Il est parfois complémentaire d’adresser le patient à un professionnel de l’écoute si l’évolution psychologique n’est pas favorable.
Bilan pneumologique : stabilisation de l’évolution de l’emphysème avec une amélioration du VEMS qui passe de 1,14 à 1,22 en deux ans. Eupnéique à la marche soutenue.
Madame V.
Éléments de diagnostic pneumologique : bronchectasie et dilatation des bronches d’étiologies non élucidées avec épisodes d’exacerbation infectieuse.
Anamnèse : est longtemps sans symptôme respiratoire, une toux non productive ne se révélant que vers la trentaine. Antécédent d’hémoptysie après une grossesse, et épisodes d’infections.
Kinésithérapie respiratoire : elle est mise en place pour un drainage bronchique et l’amélioration des amplitudes respiratoires : AFE, apprentissage de l’auto-drainage, renforcement des amplitudes respiratoires par guidance et résistance manuelles.
Aspects psychologiques : contexte de fatigue et de stress professionnel intenses. Les séances de kinésithérapie sont « épuisantes, pas naturelles, mais m’obligent à m’observer ». Elle « oublie » ses exercices, ce qui entraîne souvent un épisode d’exacerbation. Au cours de ce travail, la patiente se rend compte que « le stress bloque la respiration ». Les rendez-vous ont donc pour objectif de maintenir la vigilance de la patiente sur sa respiration pour prévenir les infections et favoriser l’automatisation d’une respiration d’amplitude suffisante.
La relation patient-kinésithérapeute : a porté principalement sur le soutien et la motivation de l’investissement de la fonction respiratoire.
La confiance initiale s’établit sur le constat suivant : lorsque la patiente réalise régulièrement ses exercices respiratoires, elle ne fait pas d’épisode de surinfection.
À chaque séance, un cycle d’AFE est réalisé avec aide et contrôle. Le bilan communiqué par le kinésithérapeute peut être un satisfecit avec un prochain rendez-vous à cinq semaines ou un constat de dégradation et une nouvelle séance quelques jours plus tard. Ce diagnostic partagé rend le contrôle motivant, car il complète l’auto-évaluation. Il permet à madame V. de distinguer son inquiétude « psychologique » et une éventuelle dégradation pulmonaire. Car malgré sa bonne volonté, la patiente tendra à oublier les contraintes que lui impose sa maladie. Ce désinvestissement peut s’amplifier dans un contexte de stress.
C’est dans la durée et grâce à la solidité de la relation que le rééducateur peut renforcer progressivement l’investissement respiratoire. Il doit adapter ses conseils au mode de vie de la patiente en s’interrogeant avec elle afin qu’elle s’approprie « sa » façon de bien se traiter. Dans le cas de madame V., c’est finalement la natation à l’heure de la pause déjeuner qui représente le meilleur ratio bénéfice/contrainte pour entretenir sa capacité respiratoire.
Le kinésithérapeute intervient ici comme interprète du symptôme somatique pour le différencier d’une composante psychologique : il s’agit pour lui de distinguer ce qui relèverait d’un investissement un peu dépressif de l’image inconsciente du corps ou d’une composante dépressive évoluant pour son propre compte. Une fois cette distinction faite, le patient a la possibilité de se tourner, s’il le souhaite, vers un professionnel de l’écoute.
Bilan pneumologique : sevrage complet du traitement intrapulmonnaire.
Madame C.
Éléments de diagnostic pneumologique : fibrose pulmonaire localisée post-radique avec épisodes d’exacerbation. Spirométrie normale compte tenu de l’obstruction distale, mais discordante avec la gêne fonctionnelle.
Anamnèse : après chimiothérapie et radiothérapie d’un cancer du sein, une capsulite rétractile de l’épaule s’installe. La fonction respiratoire ne semble pas touchée. La gêne fonctionnelle reste discrète pendant 17 ans avant la survenue d’épisodes d’exacerbation avec dyspnée majeure. C’est seulement 28 ans après la radiothérapie que la patiente demande des séances de kinésithérapie. Elle ne connaissait que le « clapping », ce qui lui faisait peur.
Kinésithérapie respiratoire : à l’examen, sa respiration spontanée est presque exclusivement abdominale, avec une très faible participation du thorax. Une vidéo est réalisée pour lui en faire prendre conscience. Elle décrit des douleurs, apparues après la radiothérapie, situées autour du plastron sternal qui inhibent sa respiration thoracique.
Par guidance manuelle, le kinésithérapeute l’incite à essayer de développer les différents niveaux inspiratoires. Cette ancienne orthophoniste « découvre la différence entre la respiration thoracique et abdominale ». Deux séances sont consacrées à cette prise de conscience, et déclenchent une augmentation des douleurs thoraciques. À sa demande, nous espaçons les séances d’une à deux semaines. Progressivement, la mobilité thoracique s’améliore et les douleurs diminuent.
Aspects psychologiques : interrogée sur ses douleurs, madame C. raconte sa peur d’être bousculée dans les transports en commun, ce qui explique sa posture cyphotique de protection. Elle associe également ses douleurs au « contexte personnel apocalyptique » de déclenchement de son cancer. Le soignant essaie de se représenter comment ce contexte s’est inscrit au niveau musculo-squelettique, quelles douleurs il a pu exacerber et quelles peurs il a pu déclencher. Cette représentation s’appuie sur l’évolution de la mobilité respiratoire, écoutée manuellement. Il s’agit pour le soignant de prêter attention à ce qui s’opère sous ses mains, sans nécessairement poser de questions : ce que le kinésithérapeute « interroge » n’est pas encore verbalisable par le patient.
L’image inconsciente du corps : emmagasine les émotions qui l’influencent mais ne sont pas toutes accessibles immédiatement. Le vécu psychologique de la maladie est ici la somme des expériences traumatiques subies par le corps et des émotions de même nature qui ont pu renforcer les conséquences de ces expériences traumatiques. Dans ce cas, une période de difficultés majeures vient accentuer la détresse créée par le cancer ; la douleur augmente avec la crainte, renforce une posture qui s’installe et aboutit à la décompensation respiratoire. L’évolution physiopathologique ne relève pas uniquement de la dimension psychologique, mais le sujet intègre ces différents aspects dans son vécu corporel.
La relation patient-kinésithérapeute : le kinésithérapeute prend en main le corps malade sur lequel il a un savoir. La patiente va prendre conscience de ce savoir par l’écoute manuelle : guidance, résistance ou massage seront soutenus par des explications aussi précises que possible, la parole préparant et accompagnant le toucher. Raideur/mobilité, hypo/hypertonie, compensations, dysynergies sont l’inscription somatique de l’histoire de la malade. Ce diagnostic partagé installe une relation de confiance. Sans véritable interrogatoire mais en s’interrogeant à voix haute, le kinésithérapeute peut amener la patiente à réfléchir sur sa maladie par une question ouverte du type : « Quel souvenir avez-vous de l’installation de cette rigidité ? »
Il propose ainsi d’associer son vécu corporel à celui de la maladie et donc de faire évoluer en parallèle la rééducation respiratoire et la réélaboration psychologique. Lorsque le kinésithérapeute entreprend de rééduquer la respiration, il va bousculer tout un « équilibre » psychosomatique qui s’est établi dans le temps, de manière plus ou moins inconsciente. Les douleurs thoraciques et la peur dont fait part madame C. font écho aux différents événements attachés à cette région du corps, au contexte de leur survenue et aux aménagements psychiques qu’elle a été amenée à faire. On comprend pourquoi faire bouger son thorax pouvait lui demander du temps…
Ainsi, madame C. peut mobiliser son thorax au bout de quelques mois, après avoir compris pourquoi l’amplitude de ses mouvements s’est progressivement altérée. Le renforcement de sa respiration ne rentre plus en conflit avec les émotions liées à la maladie. En effet, en voulant « oublier » ce qui s’est passé, elle a fixé des habitudes corporelles. Et lorsqu’elle a voulu modifier ces habitudes, les souvenirs douloureux associés ont été à l’origine d’une résistance de l’image inconsciente du corps.
Bilan pneumologique : concordance de la gêne fonctionnelle avec les données spirométriques.
Monsieur C.
Éléments de diagnostic pneumologique : BPCO (bronchectasie) non améliorée par augmentation du traitement intrapulmonnaire. VEMS à 2,87.
Anamnèse : installation progressive d’une BPCO chez un fumeur précoce puis usager de diverses drogues « douces » inhalées. Reçu en kinésithérapie après sevrage complet depuis 8 ans.
Kinésithérapie respiratoire : apprentissage et contrôle des accélérations de flux expiratoire chez un patient productif. Lorsqu’il commence sa rééducation respiratoire, il pratique un auto-drainage très intensif, provoquant d’importantes quintes de toux sans expectoration, avec accentuation du bronchospasme et des sibilants. Un long travail de changement de ses habitudes s’engage. La fréquence des séances diminue progressivement : d’une séance hebdomadaire, il passe à une séance mensuelle, en dehors des périodes de surinfection. À chaque rendez-vous, le patient fait part de son ressenti respiratoire, et sa technique est contrôlée. L’écoute pulmonaire est confrontée à l’intensité de l’auto-drainage et au vécu de la maladie. Cette écoute est reformulée dans une perspective d’éducation thérapeutique : explications physiopathologiques sur la maladie et sur son traitement, conseils personnalisés.
Aspects psychologiques : la pratique iatrogène de l’auto-drainage bronchique trouve son explication dans l’histoire de monsieur C. : la particularité respiratoire de son addiction s’explique par « une sorte de pratique toxique de la respiration pour lutter contre un sentiment d’étouffement ».
L’image inconsciente du corps : le patient avait modifié ses habitudes respiratoires ; des comportements liés à l’addiction s’étaient déplacés sur sa pratique d’un désencombrement trop intensif : il « gardait la fumée, le plus possible, pour ne pas rendre le souffle ». Par ses manœuvres dyspnéisantes, il maîtrisait un souffle qui, sans cela, lui échappait. Avec le recul, il associe cette pratique à un mal-être recouvrant vraisemblablement un syndrome anxio-dépressif.
La relation patient-kinésithérapeute : elle prend ici un aspect très formel car le patient a besoin d’être encadré. Il dira plus tard qu’il s’agissait de « rendez-vous avec lui-même pour se garantir de ne pas – ou mal – se soigner ». En écoutant et en interprétant par ses connaissances ce que dit le patient sur sa maladie, le kinésithérapeute fabrique des arguments subjectifs qui permettront l’appropriation du bon traitement. Ses conseils seront d’autant plus suivis qu’ils proviennent d’un thérapeute ayant permis une amélioration objective.
Au fur et à mesure des séances, ce patient dit qu’il ressent un « profond sentiment de sécurité », ce qui situe la relation à un niveau psychosomatique inconscient ; il ne sait pas pourquoi mais cette relation le soutient et modifie progressivement ses habitudes de soin. L’écoute attentive et active du kinésithérapeute participe d’une confiance qui accompagne et favorise la modification. Le dialogue n’apporte pas uniquement au patient des réponses techniques mais l’invite aussi à se questionner sur son mode de traitement. La réponse du kinésithérapeute sur le versant somatique permet d’ouvrir un doute pour le patient sur le versant psychologique : si le kinésithérapeute a un savoir sur le corps, il s’interroge néanmoins avec neutralité sur ce qui relève de la psychologie.
Ainsi, en quelques mois, le patient acquiert « de lui-même », mais avec l’accompagnement du kinésithérapeute, des habitudes de drainage nettement moins iatrogènes.
Bilan pneumologique : amélioration du VEMS à 3,02 et sevrage du traitement par Sérétide.
Conclusions.
La kinésithérapie respiratoire est une approche possible des atteintes de l’image inconsciente du corps car une relation patient-kinésithérapeute privilégiée s’y établit.
Elle est proposée et non imposée car, dans le cas contraire, elle sera vécue comme ingérente. Elle respecte les mécanismes de défense, notamment contre l’angoisse. Son objet n’est pas de proposer au patient une interprétation de ses symptômes mais de lui permettre de repenser l’image inconsciente de son corps, à son rythme et de manière subjective. Elle favorise ainsi des réélaborations psychologiques déterminantes pour l’évolution de la maladie.
Elle contribue à la réparation des traumatismes en permettant leur répétition à une échelle moindre. Les émotions inconsciemment emmagasinées dans le corps peuvent s’y exprimer dans un cadre sécurisé et rassurant. Ce cadre favorise le réinvestissement de la fonction respiratoire, ce qui motive le patient à se prendre en charge.
Cette approche relationnelle favorise donc la compliance du patient à son traitement. Elle participe ainsi d’une démarche d’éducation thérapeutique : par une évaluation partagée elle permet l’apprentissage du traitement et l’acceptation de la maladie. L’acquisition des compétences du patient est évaluée et les résultats lui sont communiqués. L’évolution de l’image inconsciente du corps améliore l’acceptation de la maladie et la relation de confiance entretient la motivation.
L’écoute attentive, tant verbale que somatique, accompagne et soutient donc le patient. Le kinésithérapeute « donne la parole » au somatique, et le patient prend conscience des effets de sa maladie sur son corps. Cette pratique ne remplace pas un travail psychothérapeutique parfois nécessaire, mais donne l’opportunité au kinésithérapeute, devenu interlocuteur privilégié du patient, de le suggérer.
Résumé
La kinésithérapie respiratoire intéresse une fonction vitale, et tend à favoriser le développement d’une relation patient-kinésithérapeute intense. En fonction du type de pathologie et du type de technique employée, elle permet au kinésithérapeute une écoute du vécu psychologique du patient. Elle peut devenir au cours des séances un véritable outil qui produit une modification de l’image inconsciente du corps. Nous proposons ici d’accompagner le kinésithérapeute dans cette modification car cette approche complémentaire est parfois indispensable à la réussite thérapeutique. Deux types de pathologies sont évoqués : les atteintes chroniques (BPCO) et les lésions séquellaires (suites de traitement anti-cancéreux).
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